AKUTAGAWA R.

AKUTAGAWA R.
AKUTAGAWA R.

Vers 1920, Akutagawa Ry nosuke s’était déjà imposé aux yeux du public japonais comme l’écrivain le plus brillant de la «génération de Taish 拏». Mais une lueur étrange émane de ses récits brefs qui, à eux seuls, constituent la presque totalité de son œuvre. Durant les premières années, il faisait revivre les époques les plus diverses, se plaisait à parodier ou à imaginer toujours d’autres styles. L’auteur semblait se dérober: n’avait-il pas intitulé des recueils de nouvelles Le Montreur de poupées et Manège d’ombres ? Et pourtant, le lecteur percevait sa présence à chaque ligne, le reconnaissant à une certaine rigueur implacable de la forme, à la ruse et à la précision avec laquelle le conteur menait son histoire pour la faire déboucher sur le fantastique. Soudain il apparut en personne, parmi les décors de la vie réelle, et, en des œuvres souvent déchirantes, il décrivit, sans se départir de sa lucidité, les obsessions qui, peu à peu, l’assaillirent et qui devaient l’emporter.

Nul écrivain du Japon moderne n’aura connu une carrière aussi fulgurante. Encore étudiant, il commence en 1914 à publier quelques traductions, en particulier d’Anatole France, puis des nouvelles, dont Rash 拏mon . En 1916, l’une d’entre elles, Le Nez (Hana ), attire l’attention et, en moins d’un an, Akutagawa devient auteur à succès. Avec une sûreté qui fascine ses contemporains, il produit, dès lors, chaque année, de nombreux contes et récits; à partir de 1922, il y joint des essais, des poèmes, des recueils d’aphorismes. Cependant, sa santé se dégrade. Le souvenir de sa mère, frappée de folie peu après sa naissance, lui fait craindre encore davantage l’aliénation d’esprit. Il se suicide en juillet 1927.

Les événements extérieurs – la crise économique, l’essor du mouvement prolétarien, les transformations qui rendaient T 拏ky 拏 méconnaissable... – semblaient annoncer des bouleversements dramatiques et ne purent qu’aviver son désarroi. Lui qui avait longtemps évité de parler de soi laissait plusieurs textes poignants, rédigés en cette dernière année 1927, et qui furent publiés aussitôt après sa mort: Engrenages (Haguruma ), Dialogue dans les ténèbres (Anch mond 拏 ), La Vie d’un idiot (Aru ah 拏 no issh 拏 ). Le nom d’Akutagawa entrait déjà dans la légende. Peu d’œuvres eurent, auprès des générations suivantes, un tel rayonnement.

L’art du conteur

Écrit en septembre 1915, Rash 拏mon n’est qu’une nouvelle d’une dizaine de pages. Mais, dès les premières lignes, un maître de la langue s’y révèle en pleine possession de ses moyens. Il évoque un siècle lointain, rempli de guerres et de calamités: il lui suffit d’un décor, la porte Rash 拏mon, jadis un des lieux les plus animés de la capitale, maintenant délabrée sous la pluie, et d’un personnage anonyme. Il retient à peine quelques détails – une pustule sur un visage, un insecte immobile sur le bois rouge – mais si aigus qu’ils blessent l’imagination. L’artiste voit et fixe la laideur. Et, dans ce paysage désolé, il montre les mouvements déréglés du cœur, oscillant entre le désespoir, la pitié et la violence.

Il compose Le Nez en janvier 1916. Si l’histoire se situe, de même, dans un passé lointain, le ton est tout autre. Un moine qui souffre d’un nez si long qu’il lui pend sur le menton, tente par mille moyens de s’en débarrasser, y parvient un moment et, en fin de compte, échoue. Le conteur narre ses déboires en des phrases alertes, où la désinvolture cache presque tout à fait l’amertume, et une curieuse drôlerie naît de ce mélange d’ironie et de fantastique. À quelques mois d’intervalle, Akutagawa manifestait la diversité de son talent. De ces multiples possibilités, il devait user avec une égale virtuosité. Il invente des fantasmagories, met en scène le diable d’Occident dans Le Diable et le Tabac (Akuma to tabako ), démasque des personnages célèbres, s’attaque à la morale reçue. Ailleurs, il fait revivre en un récit haletant des êtres rejetés par la société. Les Brigands (Ch t 拏 , 1917), ou «l’âme damnée» d’un peintre qui, pour accomplir son œuvre, réduit sa fille à périr par le feu (Figures infernales , Jigoku -Hen , 1918).

Possédé par la passion de son métier, l’auteur tente sans cesse d’autres expériences. Il utilise les textes classiques, qu’il amalgame et découpe à sa guise: le Konjaku-monogatari , le célèbre recueil de contes de la fin du XIe siècle, pour Rash 拏mon , le Konjaku encore et l’Uji -sh i -monogatari pour Le Nez . Il excelle dans le pastiche, à la fois jeu et défi, et les «chroniques», «rapports», «mémoires», «confessions», et autres pièces de cette veine sont innombrables. Mais, parmi ses réussites les plus singulières, il faut compter les «légendes» qu’il rédigea dans le langage des kirishitan , ces chrétiens japonais du XVIIe siècle qui attirèrent longtemps sa curiosité. Ou, pour susciter un effet de perspective, il invente un, parfois plusieurs narrateurs. Dans le fourré (Yabu no naka , 1922) qui, avec Rash 拏mon , inspira le film de Kurosawa, est l’un des exemples les plus achevés, les plus dépouillés, de telles recherches techniques. Les points de vue des acteurs d’un même drame sont confrontés en une énigmatique succession de courts monologues. L’œuvre d’art apparaît comme une savante construction de l’esprit. Indépendance de la vie, elle doit être assez forte pour inquiéter et fasciner.

Les chefs-d’œuvre des dernières années

La conception hautaine, pour ainsi dire absolue, de l’art qu’Akutagawa avait faite sienne jusqu’alors, pouvait satisfaire les exigences intellectuelles et, plus encore, esthétiques du créateur. Mais lui-même en percevait le danger et, peu à peu, il s’en détacha. En 1919, déjà, il avait tenté un premier essai en racontant un incident auquel il avait assisté dans le train par un soir d’hiver: Les Mandarines (Mikan ); en 1923, il reprenait des fragments de sa vie quotidienne dans les Feuillets du carnet de Yasukichi . Dès lors, sa manière change profondément. De son expérience ou de son observation immédiate, il tire ses récits les plus simples et les plus troublants: Bords de mer (Umi no hotori , 1925), Mirages (Shinkir 拏 , 1926), La Villa Genkaku (Genkaku Samb 拏 , 1927). Sa réflexion devient plus mordante, mais aussi plus philosophique. Et cet homme qui, de son propre aveu, s’était refusé à «connaître la vie autrement qu’à travers les livres», entreprend son autobiographie: d’abord dans La Moitié de la vie de Daid 拏ji Shinsuke (Daid 拏ji Shinsuke no hansei ), puis dans ses derniers écrits, telle La Vie d’un idiot , où il évoquait, en d’éblouissants croquis instantanés de trois à dix lignes, ses intuitions et ses souvenirs les plus précieux.

Ce prosateur virtuose n’a jamais abordé le genre romanesque. Lui-même, à la fin de sa vie, s’affirmait «poète». Seule, une forme brève lui permettait d’atteindre à une certaine perfection de la langue et de traduire alors ses pressentiments, ses obsessions, ce monde incertain et menaçant aux limites de la conscience. Prodigieux auteur de nouvelles, Akugatawa est entré dans la littérature mondiale du XXe siècle comme un maître du fantastique.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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